Jean Daltroff
Conférence du 30 octobre2009 au Foyer Saint-Georges :
« Les Juifs de Durmenach entre histoire et mémoire »



L’histoire des juifs de Durmenach est inséparable de l’histoire des Juifs d’Alsace.

Les premières communautés juives d’Alsace se sont formées autour de l’an mille.

Entre le XIIe et le XIIIe siècle, les juifs habitaient de nombreuses villes ou bourgs d’Alsace comme Strasbourg, Mulhouse, Colmar, Haguenau, Wissembourg, Rosheim, Marmoutier, Benfeld, Ribeauvillé, Jungholtz, Rouffach, Sierentz, Ensisheim, Thann...

L’épidémie de la Peste Noire débuta en 1347 et pendant trois ans provoqua la mort de vingt-cinq millions de personnes. L’on raconta que cette mortalité venait des juifs qui jetaient venins et poisons dans les puits. En 1349, une Assemblée décida l’extermination des juifs. On retrouve des massacres à Strasbourg, à Sélestat, à Colmar, Molsheim, Mulhouse.

Les survivants trouvèrent refuge dans quelques rares villages et bourgs d’Alsace, dans la vallée du Rhin, en Allemagne et jusqu’à la Pologne. Le judaïsme d’Alsace, d’urbain qu’il était, devint rural si l’on excepte la ville d’Haguenau.

À l’âge de l’Humanisme et de la Réforme, le judaïsme d’Alsace se trouva ramené à une centaine de familles. Au milieu de tous ces juifs en butte à toutes les humiliations se dressa Josselmann de Rosheim, qui défendit les juifs d’Alsace jusque devant l’empereur Charles-Quint pour obtenir l’annulation des ordres d’expulsion des villes impériales d’Obernai, Rosheim et Kaysersberg.

C’est entre le XVe et le XVIIIe siècle que les juifs bannis de Bâle et de Mulhouse s’établirent dans le Sundgau. Ils constituèrent d’importantes communautés notamment à Hégenheim (29 familles en 1716, 63 en 1766) et 409 juifs en 1784 soit la 3e communauté d’Alsace après Bischheim et Wintzenheim.

Le traité de Westphalie de 1648 donna l’Alsace à la France à l’exception de Strasbourg qui ne se soumettra qu’en 1681 et de Mulhouse qui appartenait à la Confédération helvétique.

Pour inciter à la prospérité d’une province dépeuplée par un siècle de guerre, les Français firent appel à l’immigration. Ces nouveaux arrivants venaient des régions proches : l’Alsace, le pays de Bade, et la Suisse mais aussi la Savoie et l’Italie.

 

Dans un premier temps, nous évoquerons l’installation, le développement de la communauté juive à Durmenach et les émeutes qui se sont produites en 1789 et en 1848.



La localité de Durmenach située au bord du Jura alsacien sur les rives de l’Ill à 20 kilomètres de Bâle et 30 kilomètres de Mulhouse était possédée par la famille des Flachslanden: Othmar de Flaxlanden et son fils Christophe Hannibal. Le village fut dévasté en 1636 et dut se soumettre à la France en 1640. La localité se repeupla après la guerre de Trente Ans.

Dans ce contexte, la première famille juive se fixa dans la localité un peu avant 1689. La population juive de Durmenach passa de 10 familles en 1732 à 43 familles en 1766. Il y avait plus de juifs que de catholiques en 1781 (309 juifs pour 260 catholiques).

Cette progression s’expliquait en partie par des raisons politiques et économiques. Des juifs colporteurs, marchands de bestiaux ou regrattiers intermédiaires auprès des armées ou des prêteurs d’argent, se procurèrent un droit de résidence accordé par les pouvoirs en place, la famille des Flachslanden à Durmenach avec la bienveillance du pouvoir royal. Le développement démographique et économique allait donc de pair avec l’essor de la communauté juive de Durmenach.

À la fin de l’Ancien Régime, les juifs d’Alsace étaient au nombre de 20 000 personnes environ soit 3% de la population totale (624 000 habitants). Mais cette population représentait 50 % du judaïsme français. L’interdiction de séjour dans la plupart des centres urbains notamment à Strasbourg et à Colmar avait été maintenue, d’où une population surtout rurale que l’on trouvait répartie entre 160 des 1000 villages alsaciens.

En 1781, Durmenach avait une population de 569 personnes. Le village avait 309 juifs soit plus de 54 % de la population totale.

Le Dénombrement de 1784 énumérait 3913 familles soit 19 707 personnes de tous les âges réparties dans 180 localités, la plupart rurales. Il faisait apparaître 64 familles habitant Durmenach soit 340 personnes. C’était la 5e communauté juive d’Alsace après Bischheim (473 juifs), Wintzenheim (430), Hégenheim (409) et Hagenthal-le-Bas (356). Il y avait quatre maîtres d’école (Judel Franck, Nathan Blüem, Isaac Lévy et Kiffa Meyer), deux chantres (Isaac Simon et Isaac Salomon) et deux familles pauvres. À titre de comparaison à Bischheim pour une communauté de 473 individus, il y avait 4 maîtres d’école, 4 rabbins, un chantre et 20 pauvres.

À côté d’une majorité besogneuse vivant pour la plupart modestement du commerce des ruminants, du colportage, du prêt d’argent et de la friperie existait une minorité de juifs dynamiques aisés et influents. Le « préposé » ou chef de cette communauté était Judel Bluem. Alexandre Hauser était un important bailleur de fonds, préposé de la communauté juive de Durmenach en 1766 qui en 1784 apparaissait au 2e rang du Dénombrement.

L’état des finances du royaume contraignit le roi Louis XVI à convoquer les Etats Généraux pour le 27 avril 1789.

Les juifs d’Alsace obtinrent la permission de réunir un certain nombre de notables pour rédiger des doléances qui seraient présentées à Versailles par l’abbé Grégoire connu pour leur être favorable. Ce cahier de doléances a été élaboré entre le 19 et le 25 mai 1789 au domicile privé de Max Berr, par 37 délégués venus de toute la province à Strasbourg dont cinq de Bischheim et trois de Durmenach: Judel Bluem « préposé » dans le Dénombrement de 1784, Salomon Wahl, et Isaac Wahl. Ces doléances témoignent de l’aspiration des juifs à la liberté de circulation et de culte, à l’égalité fiscale et professionnelle et au maintien d’une spécificité cultuelle.



Comme dans tout le reste du pays, des troubles agraires se produisirent en Alsace à la nouvelle de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789.

À la fin de ce mois, les paysans du Sundgau s’attaquèrent aux abbayes et aux châteaux. Mais ils s’en prirent aussi aux juifs de Durmenach, Hagenthal et Hégenheim, Rixheim et Sierentz. Des maisons furent pillées et détruites. Les paysans enlevèrent aux juifs leurs titres de créances qu’ils brûlèrent et s’emparèrent de l’argent qui leur tombait sous la main. Plus de 700 juifs durent s’enfuir à Bâle, d’autres trouvèrent refuge à Mulhouse et dans leur famille de Basse Alsace.

Mais l’Assemblée Constituante adopta le décret du 27 septembre 1791 qui donnait l’égalité civile aux juifs alsaciens et lorrains. En affranchissant ses juifs, la France émancipait du même coup les juifs de Durmenach qui avaient désormais les mêmes droits et les mêmes devoirs que leurs voisins chrétiens.

L’année 1848 fut nourrie en France par plusieurs crises.

En Alsace, la situation n’était pas meilleure. Les récoltes de 1844 et 1845 avaient été mauvaises. Les années suivantes la situation empira. La misère grandit aussi bien dans les centres urbains qu’à la campagne. La crise alimentaire fut durement ressentie, région de densité rurale forte, avec un crédit peu développé.

Dans ce contexte, des troubles sous forme d’émeutes touchèrent aussi bien le Bas-Rhin (Brumath, Marmoutier) et le Haut-Rhin. Des bandes de paysans incendièrent des maisons juives à Hagenthal, Blotzheim Hégenheim et Seppois-le-Bas. Le 22 février, la synagogue et des habitations juives furent pillées à Altkirch. Mais ce fut surtout Durmenach qui fut le théâtre d’émeutes très violentes durant plusieurs jours du 28 février au 2 mars 1848. La population combattit la garde nationale juive chargée par le maire, Aaron Meyer de défendre la communauté juive. Plus de 75 maisons juives furent pillées et détruites. Le curé du village donna asile aux juifs trop âgés pour fuir et préserva leurs biens, et ce malgré la foule en colère qui assiégeait sa maison. La plupart des juifs du village, avant tout les femmes et les enfants, s’enfuirent dans les communes environnantes suisses de Rodersdorf, de Metzerlen, d’Allschwil et de Bâle. Le maire et les membres juifs du conseil municipal prirent aussi la fuite.

Ces scènes de pillage de Durmenach ont été lithographiées dans une période où la censure était en retrait[1].






La première image sans titre montre que jeunes et vieilles, femmes et hommes en costume sundgauvien, se lancent à l’assaut du village. Sur chaque toit, un homme, ou deux en blouse bleue armé d’un gourdin fait sauter les tuiles. Dans la première maison, deux hommes se servent d’une hache, un troisième, lance par la fenêtre un double tiroir vide. Un quatrième homme charge un autre pilleur d’un matelas. Le vandalisme est général et l’église de Durmenach offre par contraste une impression de calme. Le pillage accompagne le vandalisme: le mobilier et les matelas sont chargés sur une charrette au premier plan à droite, des barriques de vin sont entassées dans des brouettes, des femmes portent un baquet sur la tête. Au premier plan à gauche, une femme âgée voûtée se promène avec une canne dans la main droite et un rouet dans la main gauche.

Il s’agit aussi de s’attaquer au judaïsme dans ce qu’il a de plus sacré, le Livre. Au premier plan au centre, un homme en costume sundgauvien avec des lunettes marche tenant un livre à la main sous le regard amusé d’un porteur de massue. En effet, à côté des maisons, les populations de la vallée de l’Ill s’en prirent à la synagogue qui fut profanée, des rouleaux de la Loi furent lacérés. Le dessinateur affirme la catholicité de Durmenach à majorité juive.

Enfin trois hommes au premier plan sont à cheval: deux d’entre eux ont un costume de ville, un haut-de-forme et une ceinture tricolore. Il pourrait s’agir des autorités administratives, du sous-préfet. Un gendarme charge seul sabre au clair. Protège-t-il les deux autorités ou annonce-il la répression ? La construction du dessin est ordonnée avec des maisons alignées et l’église au centre du village. Cette gravure exprime une idéologie face aux troubles.

 

 

Le deuxième dessin intitulé « Juden Rebold von Durmenach 28 Hornung 1848 » exprime dans un environnement rural, un vandalisme plus accentué: les poêles sont cassés à la hache au premier plan, une maison s’effondre au second plan. Le pillage est également très marqué avec des maisons remplies de personnes se livrant à des scènes de destruction et de vols. Au centre, des femmes sont groupées autour d’un baquet. L’alcool coule à flot avec un tonneau au premier plan à gauche où plusieurs personnes boivent ou servent du vin. L’individu qui lit la Thora est assis, les pieds posés sur une estrade.

Ces deux gravures expriment un des temps forts de l’antisémitisme en Alsace avec la mise à sac du village de Durmenach du 28 février au 2 mars 1848. Un artiste a composé des scènes variées soulignant la joie, la beuverie et l’idéologie catholique.

Qui avait perpétré ces exactions ? Il se dégage des procès-verbaux que ce sont des hommes et de femmes provenant pour la plupart des classes populaires touchées par la crise économique notamment les journaliers et les travailleurs à domicile. Il semble encore qu’il faille y ajouter de riches paysans et des artisans. Les émeutiers étaient originaires du village ou de communes voisines. Une nouvelle fois, la population juive fut rendue responsable de la situation catastrophique et endossa le rôle du bouc émissaire, rôle dont profitait la classe possédante non-juive qui pouvait détourner d’elle l’attention. L’armée et la garde nationale auraient pu ramener l’ordre tandis que la garde nationale locale formée de non juifs refusait la plupart du temps de défendre les juifs.

L’année 1848 fut en Alsace et particulièrement à Durmenach un moment fort de l’antisémitisme dans la lignée des émeutes de 1819 Hep Hep contre les juifs allemands avant les pogroms notamment de Russie entre 1881 et 1884 sous le tsar Alexandre III.

 

Nous développerons dans une seconde partie, les points forts et les aspects dynamiques de la présence juive à Durmenach au cours du XIXe et dans la première moitié du XXe siècle.

 

Les bases d’un cadre nouveau

La Révolution française, dans sa première phase constitutionnelle par la Déclaration des Droits de l’homme et le décret d’émancipation, des juifs, a privilégié l’intégration de ces derniers. Les juifs de Durmenach n’ont plus de juridiction distincte. Ils doivent faire le service militaire de 20 à 25 ans. Tous les métiers leur sont ouverts. Le libre exercice de leur culte leur est reconnu. Ils peuvent acquérir des immeubles et posséder des terres.

Napoléon 1er s’est intéressé aux juifs. Certaines de ses motivations sont d’ordre militaire. Ses armées ont besoin de négociants pour assurer l’approvisionnement en fourrage, en vivres et en chevaux.

Le Consulat donne aux religions chrétiennes un statut de droit public. Le Concordat en faveur des catholiques du 16 juillet 1801 est complété par les articles de 1802 dont bénéficient les Protestants. L’égalité des cultes rend possible la réorganisation parallèle du judaïsme. Quatre décrets sont publiés en 1808. Le 20 juillet 1808, un décret ordonne aux juifs de faire enregistrer  leurs noms et prénoms à l’état-civil.

En novembre1808, lors de la prise patronymique des noms, la population juive de Durmenach s’élevait à 95 familles soit 487 personnes dont de nombreuses familles : 17 familles Hauser, 13 familles Blum, 10 familles Uhlmann, 7 familles Franck 6 familles Lévy et Meyer, 5 familles Bloch et Lang, 4 familles Brunschwig[2].

Les familles juives pratiquaient surtout le commerce de bétail, le colportage et le prêt sur gages. La population catholique du village vivait essentiellement de l’agriculture et de l’artisanat. Les familles nombreuses n’étaient pas rares : deux familles Blum de huit enfants deux familles de sept enfants (les familles Adler et Meyer), sept familles de six enfants (les familles Blum, Ducas, Lang, Léopold, Schreiber et Uhlmann) et douze familles de cinq enfants.

 

Sur le plan démographique et économique



Les juifs étaient surtout marchands de bestiaux, commerçants et journaliers avec notamment Raphaël Hauser qui était drapier, Isaac Blum, boulanger, Meyer Hauser, marchand d’étoffes et David Hauser marchand épicier[3]

Sur 44 marchands en 1851, 25 étaient marchands de bestiaux, 5 étaient des marchands de chevaux, 5 autres marchands d’étoffes, un couple était marchand de cuir, Jacques Ginsburger et sa femme Julie Weil. Il y avait encore un marchand de vins en gros, un marchand de faïence, un autre marchand de farine, un de fer et une marchande de sabots, la veuve Jeannette née Haas, 42 ans qui avait deux fils de 13 et 11 ans, Salomon et Samuel Blum. Il y avait enfin un commis marchand et une marchande. Les autres étaient surtout des journaliers (24 hommes et 29 femmes) et des rentiers (20). Il y avait aussi 10 colporteurs, 9 bouchers, 7 revendeurs, 3 matelassiers (Samuel Lévy, père de 8 enfants avec 2 fils Aron et Jacques) 2 agents d’affaires, 2 aubergistes, 2 boulangers, 2 barbiers, un couple d’épiciers, Nathan Brunschwig et son épouse Joséphine Adler, un commissionnaire, un graveur, un relieur et une institutrice. Les femmes étaient surtout des servantes (25), et des couturières (5). Pour assurer la vie spirituelle, la communauté juive disposait d’un ministre officiant, David Heyman, qui avait 9 enfants de 2 à 24 ans, de deux instituteurs d’hébreu, Abraham Hirst et Moïse Weil d’un bedeau à la synagogue[4].



Sur le plan cultuel

La communauté juive de Durmenach se dote au XIXe siècle de structures religieuses et éducatives avec la présence d’un rabbinat, la construction d’une synagogue, d’une école pour les enfants juifs de la commune et avec l’agrandissement du cimetière.

- L’organisation du culte français avait été réglementée par le décret impérial du 15 mars 1808 qui établissait un consistoire central et sept consistoires départementaux dont celui de Wintzenheim (Haut-Rhin). C’était cette assemblée composée de rabbins et de laïcs qui assurait la police du culte et l’administration des biens de la communauté. C’était aussi lui qui accordait aux synagogues d’acheter ou de vendre bâtiments ou immeubles. Une loi du 8 février 1831 mettait à la charge de l’Etat les traitements des rabbins et des ministres officiants des communautés juives les plus importantes. Ce fut seulement à partir de 1853 que l’Etat rétribua le rabbin de Durmenach.

Au moins neuf rabbins ont dirigé la vie spirituelle la communauté juive de 1788 à 1908:

Salomon Lévy naquit à Durmenach en 1750. Il fut rabbin de 1788 à 1841 durant 53 ans. Il fut député du Haut-Rhin au Grand Sanhédrin de Napoléon 1er sous le nom de Seligman de Durmenach en 1807. Il prit en octobre 1808 le nom de Salomon Lévy. À son décès en 1841 à Durmenach, il avait la charge des 1360 juifs que comptaient les communautés d’Altkirch, Durmenach, Hagenbach, Hirsingue, Wittersdorf, Oberdorf, formant le ressort de son rabbinat siégeant à Durmenach.

Salomon Wolf Klein vit le jour à Bischheim en 1814. Il épousa Barbe Zivi dont il eut quinze enfants. Il fut installé au rabbinat de Durmenach le 2 juillet 1842. Il y restera rabbin jusqu’en 1847. Très orthodoxe, il continua sa carrière à Rixheim jusqu’en 1850 et devint grand rabbin de Colmar et du Haut-Rhin jusqu’en 1867, année de son décès.

Michel Aron alias Gerson fut nommé rabbin de Durmenach en 1852 et y restera jusqu’en 1869. Marié avec Adélaïde Polak, il eut quatre enfants nés à Durmenach ente 1853 et 1862. Pendant son mandat, ce rabbin libéral modéré inaugura la synagogue d’Hirsingue.

Seligmann Lévy naquit à Niedernai en 1835. Rabbin à Uffholtz de 1863 à 1870, il fut nommé à Durmenach le 12 avril 1870 et y restera jusqu’en 1876. De son mariage avec Madeleine Bloch en 1861 il eut quatre filles dont Léa née le 13 novembre 1871 à Durmenach qui devint professeur de français.

David Aron Goldstein originaire de l’Empire autrichien fut le premier rabbin non-alsacien nommé en Alsace depuis l’annexion. Il commença sa carrière à Durmenach en 1880 et y demeura jusqu’en 1884.

Léonard Koch fut avec Moïse Ginsburger l’un des deux seuls rabbins non orthodoxes d’Alsace. Il semble avoir occupé de 1894 à 1896 le rabbinat de Durmenach puis celui de Marmoutier et de Wissembourg.

Joseph Wiener fut nommé rabbin de Durmenach la même année et y restera jusqu’en 1899. Il fut ensuite rabbin de Phalsbourg puis rabbin d’Anvers et grand rabbin de Belgique, poste qu’il conserva jusqu’en 1940.

Enfin Simon Auscher né à Strasbourg 1869 et décédé à Haguenau en 1933 acheva sa formation au séminaire Hidelsheimer de Berlin et obtint parallèlement un doctorat de langues sémitiques. De mai 1901 à 1908, il exerça comme rabbin à Durmenach puis à Altkirch et Haguenau.

Plusieurs ministres officiants ont marqué la vie spirituelle de la synagogue de Durmenach. Citons entre autres, David Heyman de 1827 à 1851 qui eut neuf enfants dont au moins sept sont nés à Durmenach de 1827 à 1849. Nephtali Lévy fut chantre et sacrificateur à Durmenach de 1880 à 1882 et Mathieu Mosbacher exerça la fonction de ministre officiant et cho’het (sacrificateur) à Durmenach de 1891 à 1922. Victor Dreyfus fut le dernier ministre officiant de Durmenach.

Une synagogue existait depuis 1803. Elle souffrit à plusieurs reprises notamment pendant les émeutes de 1848. En 1874, un projet fut établi. Le Conseil municipal et la communauté juive de Durmenach sollicitèrent l’aide de l’Etat. De généreux donateurs de la communauté juive de Durmenach (notamment les familles Lang, Zivy et Brunschwig) et la contribution de l’Etat permirent sa restauration qui fut effectuée en 1875 par l’ingénieur d’arrondissement Franz Baldauf.

Elle servit de cadre aux prières quotidiennes, au shabbat (sabbat), aux fêtes, aux bars mitzva (majorités religieuses) des garçons, aux mariages…

Le samedi, les juifs étaient revêtus de leur costume de fêtes, ils se retrouvaient pour prier avec ferveur dans la « shoule » laissant à la shavess goy[5], la clef de leurs foyers.

Dans ce cimetière rural de plus de 360 tombes, reposent à côté d’humbles juifs plusieurs personnalités: en premier lieu le maire Aaron Meyer, les industriels, Raphaël Lang (1837-1902) et Paul Lang (1862-1944), Florine Katz née Netter décédée le 23 janvier 1902 à 70 ans, la grand-mère du poète Nathan Katz et Georges Meyer (1930-1998), Président Directeur Général des Galeries Lafayette.



Durmenach a possédé une communauté juive riche de plus de trois siècles d’histoire. Tolérée au XVIIIe siècle, elle sera par la suite le centre d’une vie traditionnelle intense jusqu’au début du XXe siècle malgré les émeutes violentes de 1848.

À partir du décret d’émancipation, le 27 septembre 1791, les conditions des juifs de Durmenach évoluent vers une intégration dans la société par le biais de l’école du service militaire et par la participation au Conseil municipal. Les marchands de bestiaux et de chevaux vont longtemps dominer la vie socio-économique des juifs de la localité par l’achat et la vente du menu et du gros bétail.

La vie spirituelle des juifs de Durmenach a longtemps été caractérisée par son dynamisme symbolisé par l’édification d’une synagogue en 1803 et sa restauration en 1875 et par la présence d’une école juive, d’un rabbinat tout au long du XIXe siècle. Les relations entre les juifs et leurs voisins catholiques sont variables suivant les périodes. Elles prennent la forme de tensions qui dégénèrent en un antijudaïsme latent et violent notamment en 1789 et en 1848. Les rapports peuvent prendre aussi un aspect de cohabitation plus harmonieux.



Après la dernière guerre, seulement 15 juifs revinrent à Durmenach. Les survivants de la Shoah retrouvèrent comme bien souvent en Alsace une synagogue dévastée, les rouleaux de la Loi profanés et des livres de prières plus ou moins brûlés. Il n’y avait plus de bancs ou de chaises, ni d’Arche Sainte[6]. Selon un témoignage d’époque « Les fenêtres de la synagogue avaient volé en éclats, les gros barreaux dont elles étaient garnies depuis 1848 avaient résisté à la horde. La galerie des dames était devenue un entrepôt de masques à gaz utilisables. En 1946 il y avait encore minian (quorum de dix hommes) dans la synagogue provisoire installée dans une pièce de la demeure du ministre officiant, Victor Dreyfus et de son épouse Germaine. La communauté juive allait disparaître entièrement à cause de l’exode rural. Le consistoire israélite du Haut-Rhin vendit la synagogue en 1959 à l’association du foyer Saint-Georges inauguré en 1964. L’édifice fut détruit par un incendie en 1983 et reconstruit pour servir de salles de fêtes et de foyer.

 

Il ne reste plus à l’heure actuelle dans le paysage villageois qu’un cimetière rue de la Gendarmerie, et quelques traces de l’ancienne synagogue avec trois murs et une porte et la rue de la synagogue pour commémorer aussi cette ancienne communauté juive.

 

Puisse ce rassemblement le 8 novembre 2009 à Durmenach autour de cette journée des souvenirs à l’initiative de la Mairie actuelle et de toute son équipe, des différentes associations, de GenAmi, de la Société d’Histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine, du Consistoire israélite du Haut-Rhin servir à instruire, expliquer et garder une mémoire active et dynamique. Elle devrait grandement favoriser l’échange et le respect de l’autre et de ses traditions et lutter pour une mémoire active qui tire les leçons du passé pour mieux appréhender le présent et l’avenir.


[1] Les deux images coloriées se trouvent dans les collections du Cabinet des Estampes 5, places du Château à Strasbourg. Dominique Lerch a excellemment analysé ces lithographies.

Voir Dominique Lerch, « Imagerie populaire et violence antisémite en Alsace au XIXe siècle » dans Actes des XXIVe et XXVe colloques de la SHIAL, Strasbourg, 2005, p. 22-24.

[2] Pierre Katz, Recueil des déclarations de nom patronymique des juifs du Haut-Rhin en 1808, tome I, Paris Cercle de Généalogie Juive, 1997

[3] Micheline Gutmann, Etude généalogique de la famille Hauser, tome I, Paris Genami, 1997, p. 78 et p.134-135.

[4] Pierre Katz, Les communautés juives du Haut-Rhin en 1851, Paris, Cercle de généalogie juive, 2002 : voir Durmenach.

[5] Aide chrétienne pour faire le travail indispensable le samedi.

[6] Daniel D. Gerson, « la disparition des communautés rurales d’Alsace », La Terre retrouvée, 1964, p. 7.